Qui vote pour qui et pourquoi ? Comment la structure sociale des électorats des différents courants politiques en France a-t-elle évolué de 1789 à 2022 ? En s’appuyant sur un travail inédit de numérisation des données électorales et socio-économiques des 36 000 communes de France couvrant plus de deux siècles, cet ouvrage propose une histoire du vote et des inégalités à partir du laboratoire français.
Au-delà de son intérêt historique, ce livre apporte un regard neuf sur les crises du présent et leur possible dénouement. La tripartition de la vie politique issue des élections de 2022, avec d’une part un bloc central regroupant un électorat socialement beaucoup plus favorisé que la moyenne – et réunissant d’après les sources ici rassemblées le vote le plus bourgeois de toute l’histoire de France –, et de l’autre des classes populaires urbaines et rurales divisées entre les deux autres blocs, ne peut être correctement analysée qu’en prenant le recul historique nécessaire. En particulier, ce n’est qu’en remontant à la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle, à une époque où l’on observait des formes similaires de tripartition avant que la bipolarisation ne l’emporte pendant la majeure partie du siècle dernier, que l’on peut comprendre les tensions à l’oeuvre aujourd’hui. La tripartition a toujours été instable alors que c’est la bipartition qui a permis le progrès économique et social. Comparer de façon minutieuse les différentes configurations permet de mieux envisager plusieurs trajectoires d’évolutions possibles pour les décennies à venir.
Une entreprise d’une ambition unique qui ouvre des perspectives nouvelles pour sortir de la crise actuelle. Toutes les données collectées au niveau des quelques 36 000 communes de France sont disponibles en ligne en accès libre sur le site unehistoireduconflitpolitique.fr, qui comprend des centaines de cartes, graphiques et tableaux interactifs auxquels le lecteur pourra se reporter afin d’approfondir ses propres analyses et hypothèses.
Julia Cagé est professeure à Sciences Po Paris et lauréate du Prix du meilleur jeune économiste (2023).
Thomas Piketty est directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales et professeur à l’École d’économie de Paris.
Ils signent ici leur premier livre en commun.
Tout est faux, selon l'auteur, des peurs qui attribuent à la mondialisation les crises que connaissent les pays industrialisés. Les transformations des modes de production doivent tout à la révolution informatique et à la diffusion de l'enseignement. Pour sa démonstration, l'économiste utilise des cercles concentriques : du monde à la famille.
On voyait, jadis, la télévision en famille, on la regarde aujourd’hui chacun pour soi. Le travail était standardisé, rigide, il est devenu polyvalent, flexible. Les institutions étaient paternalistes, autoritaires ; elles sont devenues permissives, voire libérales. Un sentiment d’unité habitait le monde, c’est celui d’insécurité qui domine. D’aucuns dénoncent le «capital financier», laissant intacte la question de savoir comment, pourquoi ce mauvais génie est sorti de sa bouteille. D’autres incriminent la «fin du travail», tombeau d’une civilisation capitaliste emportée par son propre productivisme. D’autres enfin s’en remettent à une explication purement culturelle, l’âge de l’individualisme, qui expliquerait à elle seule la tentation néolibérale. Chacune de ces théories désigne un aspect du problème, mais aucune ne peut expliquer la force du renversement à l’œuvre. Pour trouver le sens caché de notre époque, il faut rien moins que les affronter toutes. Non pas «fin du travail» mais «travail sans fin», parfois jusqu’à l’épuisement psychique. Non pas fin des valeurs, mais fin des relais (la «première chaîne», la famille…) qui les soudaient auparavant aux valeurs privées. Ère, enfin et surtout, non pas du capital financier mais du «capital humain» tout juste commencée, par quoi «nos» temps modernes peuvent trouver une signification qui les porte.
Une personne, une voix : la démocratie repose sur une promesse d'égalité qui trop souvent vient se fracasser sur le mur de l'argent. Financement des campagnes, dons aux partis politiques, prise de contrôle des médias : le jeu démocratique est de plus en plus capturé par les intérêts privés. Se fondant sur une étude inédite des financements politiques privés et publics dans une dizaine de pays sur plus de cinquante ans, Julia Cagé passe au scalpel l'état de la démocratie, décortique les modèles nationaux, et fait le récit des tentatives - souvent infructueuses, mais toujours instructives - de régulation des relations entre argent et politique. En France, l'Etat a mis en place un système de réductions fiscales permettant aux plus riches de se voir rembourser l'essentiel de leurs dons aux partis politiques, alors que les plus pauvres, eux, paient plein pot. Ces dérives ne viennent pas d'un complot savamment orchestré mais de notre manque collectif d'implication. La question du financement de la démocratie n'a jamais véritablement été posée ; celle de la représentation des classes populaires doit l'être sur un mode plus radical. Pour sortir de l'impasse, voici des propositions qui révolutionnent la façon de penser la politique, des réformes innovantes pour une démocratie retrouvée.
D’où vient ce sentiment diffus et oppressant d’un retard généralisé, lui-même renforcé par l’injonction permanente à s’adapter au rythme des mutations d’un monde complexe ? Comment expliquer cette colonisation des champs économique, social et politique par le lexique biologique de l’évolution ?
La généalogie de ce nouvel impératif nous conduit dans les années 1930 aux sources du « néolibéralisme » américain : « néo » car, contrairement au libéralisme classique qui comptait sur la libre régulation du marché, ce nouveau libéralisme autoritaire en appelle aux artifices de l’État (droit, éducation, action sociale). L’enjeu est de transformer l’espèce humaine pour fabriquer les agents d’une compétition mondiale loyale et régulée. Pour Walter Lippmann, théoricien de cette transformation, seul un gouvernement de leaders et d’experts peut conduire l’évolution des sociétés dans la bonne direction. Mais Lippmann se heurte à John Dewey, figure majeure du pragmatisme, qui lui oppose l’intelligence collective des publics, socle d’une indispensable refondation de la démocratie.
« La lutte entre le néolibéralisme et la démocratie n’est pas terminée : elle ne fait que commencer », Thomas Piketty, présentation de l’édition américaine, Fordham University Press.