En 1939, lorsque la guerre éclate, voilà déjà cinq ans qu'un colonel clame dans le désert qu'elle est préalablement perdue. L'armée française est trop lourde, trop peu offensive, ses blindés sont inadaptés à la puissance de feu de l'Allemagne nazie : aveuglée par le traumatisme de 14-18, la France court à la défaite.
Appelé d'urgence à de hautes responsabilités ministérielles, de Gaulle assiste à la débâcle, malgré quelques faits d'armes personnels, à l'Est. Bientôt le gouvernement fuit à Bordeaux, et c'est l'armistice. Une lâcheté insupportable, inacceptable pour un homme qui a, depuis toujours, " une certaine idée de la France " : il s'envole pour Londres. Tandis que d'autres s'accommodent de Vichy, le Général fait retentir, depuis l'Angleterre, la voix d'une France irréductible, libre, debout : la voix de la France éternelle.
Avec Les Fleurs du Mal commence la poésie moderne : le lyrisme subjectif s'efface devant cette « impersonnalité volontaire » que Baudelaire a lui-même postulée ; la nature et ses retours cycliques cèdent la place au décor urbain et à ses changements marqués par l'Histoire, et il arrive que le poète accède au beau par l'expérience de la laideur. Quant au mal affiché dès le titre du recueil, s'il nous apporte la preuve que l'art ici se dénoue de la morale, il n'en préserve pas moins la profonde spiritualité des poèmes.
D'où la stupeur que Baudelaire put ressentir quand le Tribunal de la Seine condamna la première édition de 1857 pour « outrage à la morale publique et aux bonnes moeurs » et l'obligea à retrancher six pièces du volume - donc à remettre en cause la structure du recueil qu'il avait si précisément concertée. En 1861, la seconde édition fut augmentée de trente-cinq pièces, puis Baudelaire continua d'écrire pour son livre d'autres poèmes encore. Mais après la censure, c'est la mort qui vint l'empêcher de donner aux Fleurs du Mal la forme définitive qu'il souhaitait - et que nous ne connaîtrons jamais.