" Comment devenir vertueux ? " Cette question, posée à Socrate par Ménon, jeune noble thessalien en visite à Athènes, se révèle ambiguë. Car la vertu, est-ce l'excellence du citoyen et le talent de l'homme politique ? Ou bien est-ce la vertu telle que l'entend Socrate, subordonnée au bien et soumise au plus strict exercice de la justice ? Mais les essais infructueux d'une définition de la vertu cèdent bientôt la place à une question plus générale : " comment est-il possible de chercher et d'apprendre ? " Les réponses que Platon nous donne dans le Ménon seront reprises deux mille ans plus tard par Descartes et par Leibniz : " La vérité de ce que nous devront jamais découvrir et connaître nous appartient depuis toujours ". C'est dans ce dialogue que, pour la première fois, l'idée d'une connaissance prénatale qui appartienne à l'âme indépendamment de tout apprentissage, est exposée de façon systématique et argumentée. Dernière défense de Socrate que Platon ait écrite, le Ménon fait voir clairement ce qu'est le travail de la pensée, l'approche d'une vérité dont la présence est connue avec conviction, mais dont la forme est encore ignorée. " Si le Phédon et le Gorgias sont de nobles statues, le Ménon est un joyau. "
La scène est au Pirée. Attablés dans la maison du vieux Céphale, Socrate et quelques amis entreprennent de discuter des récompenses promises au juste dans l'au-delà. Qui peut le mieux cerner l'essence de la justice ? La sagesse traditionnelle, les mythes anciens semblent impuissants et Socrate a vite raison des prétentions du sophiste Thrasymaque. Alors s'amorce avec Glaucon et Adimante, les frères de Platon placés en position d'interlocuteurs philosophes, un long entretien qui, de la justice dans la cité, remonte vers la justice de l'âme. L'histoire d'Athènes traverse sans cesse ce dialogue puissant, où la proposition d'une cité parfaite et de la royauté des philosophes est à la fois la réponse à la tourmente politique de la démocratie grecque et la recherche métaphysique des vertus de l'âme et des objets de la raison. Dans la traduction et le commentaire que je présente ici, j'ai cherché à construire l'équilibre le plus rigoureux possible entre une lecture centrée sur l'histoire et une autre qui prend la métaphysique comme foyer principal. Un des effets de cette perspective est d'éviter une position trop courante aujourd'hui, la dépolitisation de l'oeuvre. L'inquiétude de celui qui aspire à la justice, Platon ne cesse de le rappeler, n'est-elle pas indissociablement éthique et politique ?