Traduit en plus de vingt langues, Les Prisons de la misère a renouvelé le débat scientifique et civique sur les rapports entre châtiment et inégalité dans les sociétés avancées. L’ouvrage révèle les voies par lesquelles un « sens commun » punitif (police de tolérance zéro, peines planchers, couvre-feux, incarcération à tout-va), élaboré en Amérique par un réseau de think tanks néoconservateurs, s’est internationalisé, dans le sillage de l’idéologie économique néolibérale dont il est la traduction en matière de « justice ». Il contribue à instaurer un nouveau gouvernement de la misère mariant la main invisible du marché du travail dérégulé au poing de fer d’un appareil pénal intrusif et omniprésent. Cette nouvelle édition revient sur les évolutions pénales de la décennie passée et montre comment la tornade sécuritaire s’est étendue aux pays du Second monde. Tracer l’arc différentiel de la pénalisation de la pauvreté sur trois continents éclaire la transformation de l’État à l’ère du néolibéralisme triomphant. Car le retour imprévu de la prison sur l’avant-scène institutionnelle ne s’explique pas par l’évolution de la criminalité, pas plus que par l’efficacité supposée des bureaucraties policières et judiciaires. Il résulte de choix politiques adossés à des rapports de pouvoir. L’inflation carcérale qui sévit pratiquement partout aujourd’hui n’est pas une fatalité mais une politique publique. Il s’ensuit qu’on peut la remettre en question et l’inverser par d’autres politiques.
Le tour résolument punitif pris par les politiques pénales lors de la dernière décennie ne relève pas du simple diptyque «crime et châtiment». Il annonce l’instauration d’un nouveau gouvernement de l’insécurité sociale visant à façonner les conduites des hommes et des femmes pris dans les turbulences de la dérégulation économique et de la reconversion de l’aide sociale en tremplin vers l’emploi précaire. Au sein de ce dispositif «libéral-paternaliste», la police et la prison retrouvent leur rôle d’origine : plier les populations indociles à l’ordre économique et moral émergent.
C’est aux États-Unis qu’a été inventée cette nouvelle politique de la précarité, dans le sillage de la réaction sociale et raciale aux mouvements progressistes des années 1960 qui sera le creuset de la révolution néolibérale. C’est pourquoi ce livre emmène le lecteur outre-Atlantique afin d’y fouiller les entrailles de cet État carcéral boulimique qui a surgi sur les ruines de l’État charitable et des grands ghettos noirs. Il démontre comment, à l’ère du travail éclaté et discontinu, la régulation des classes populaires ne passe plus par le seul bras, maternel et serviable, de l’État social mais implique aussi celui, viril et sévère, de l’État pénal.
Et pourquoi la lutte contre la délinquance de rue fait désormais pendant et écran à la nouvelle question sociale qu’est la généralisation du salariat d’insécurité et à son impact sur les espaces et les stratégies de vie du prolétariat urbain.
En découvrant les soubassements matériels et en démontant les ressorts de la « pensée unique sécuritaire » qui sévit aujourd’hui partout en Europe, et singulièrement en France, ce livre pointe les voies possibles d’une mobilisation civique visant à sortir du programme répressif qui conduit les élites politiques à se servir de la prison comme d’un aspirateur social chargé de faire disparaître les rebuts de la société de marché.